SIGNARE                          

 Je suis une Signare. Mon nom est originaire d’une déformation africaine du mot portugais Senhora, qui signifie dame. Nous sommes apparues au 15e siècle au Sénégal. Nous étions alors des femmes africaines, noires ou métisses, vivant en concubinage avec des hommes blancs. Une femme accédait au statut de Signare dès lors qu'elle se mettait en ménage avec un européen.

 Au 18e siècle, alors que la France et l’Angleterre entrèrent en guerre contre les rois africains, nous avons fui les conflits vers l’île de Gorée et Saint Louis. La mode était alors aux mariages temporaires, un contrat en fonction de la durée de séjour du mari. Nous étions devenues des épouses coloniales. A leur départ, nos maris nous laissaient de l’argent, parfois des esclaves. Les enfants qui naissaient de ces unions, se mariaient dans ce nouveau cercle social, dans le but de faire fructifier le capital accumulé de mère en fille. Nous n’acceptions que des maris issus de l’aristocratie et de la bourgeoisie européenne. Génération après génération, nous avons œuvré pour étendre notre influence.

 Femmes d’affaires rusées à la beauté envoûtante, nous faisions la pluie et le beau temps dans l’empire colonial du Sénégal. Nous étions en mesure de défaire des décrets qui n’arrangeaient pas nos affaires, en faisant jouer nos liens de parentés jusque dans les cours royales. Nous avons été actrices de l’Histoire, femmes entreprenantes et influentes, femmes de notre temps et de notre espace, à la charnière des mondes européens et africains.

 Dans le monde contemporain, notre nom, Signare, est devenue une référence au métissage. Notre apparence, notre culture, nos références, s’enrichissent de ces mélanges.

 Notre métissage nous a appris à devenir des êtres humains. D’ici et d’ailleurs.

                         

 

   SIAMOISE

Nous sommes des Siamoises. Certes, nous ne partageons ni la même mère, ni le même père, mais le lien qui nous uni est plus sacré que le sang qui coule dans nos veines. C’est comme si nous nous connaissions depuis toujours. Nous n’avons pas eu besoin de tout raconter à l’autre. Nous savions. Tout, absolument tout. La colère, le sentiment d’injustice, les épreuves endurées, et la force… Cette force infaillible qui brûle à l’intérieur de nous. Cette rage qui nous maintient éveillée la nuit, qui nous fait avancer chaque jour un peu plus. Nous pansons nos blessures, les plaies visibles à l’oeil nu et puis les autres. Celles que l’on ne peut déceler de l’extérieur, celles qui nous rongent, qui nous empêchent de fermer l’oeil la nuit. Il nous est arrivé de sécher les larmes qui ruisselaient sur les joues de l’une d’entre nous. Il nous est arrivé d’avoir envie d’abandonner, de jeter l’éponge, de nous sentir impuissantes. Mais nous ne nous sommes jamais résignées. Nous savons que notre combat est juste, qu’il nous dépasse. Nous avons fait le choix de consacrer notre vie entière à cette cause. Nous sommes devenues nos propres héroïnes, les capitaines de notre destin.

Nous sommes des Siamoises : si l’une d’entre nous part, nous mourront toutes.

                                                                     AMAZONE

 Je suis une Mino, une « mère » en langue fon. Mais vous me connaissez certainement sous le nom que m’ont donné les colons : Amazone. Mon allure et ma combativité leur rappelait les guerrières des mythes antiques. Je viens du royaume du Dahomay, cette terre que l’on nomme Bénin aujourd’hui. Je suis une guerrière, plus forte et plus vaillante que les hommes, je ne recule devant rien. Ni l’ennemi, ni la mort. J’ai durant toute mon enfance été entraînée pour survivre à la douleur et résister à la pitié. Vaincre ou mourir, ma vie entière s’est construite autour de cette devise.

 

La légende raconte que je suis apparue sous le règne du roi Agadja, à l’aube du 18e siècle. Je suis au fil des années devenue l’avant-garde et l’élite du royaume du Dahomey. Fille d’une esclave, j’ai réussi à me faire craindre et respecter. J’ai lutté pour agrandir notre royaume. A l’arrivée des colons, je les ai combattus sans relâche. Mais les troupes françaises ont eu raison de moi. Le Dahomey a été placé sous protectorat français et Agoli Agbo, le nouveau souverain, a dissout mes troupes.

 

Née pour servir les desseins d’un Etat Libre, je n’ai pas survécu à la disparition de la liberté. Mais le souvenir de mes exploits continuera de se transmettre de générations en générations sur les ruines de l’ancien royaume. Je n’ai cependant pas totalement disparu, je me suis juste réinventée.

 L’Amazone contemporaine, loin des champs de bataille, est une guerrière du quotidien.

 

 Textes Annelise Stern